La valeur des choses

25/12/2019

La notion de valeur est un produit de notre esprit, de notre perception individuelle des choses

Au début d'un de ses cours, un professeur d'économie distribue à chacun de ses étudiants un panier de dix sucreries - réglisse, bonbon à la menthe, fraise tagada... - de telle sorte que chaque élève dispose exactement du même assortiment et leur demande d'évaluer la valeur de leurs dotations. Les étudiants s'exécutent et inscrivent leurs évaluations sur un morceau de papier que le professeur récupère afin de calculer la richesse globale de cette microéconomie expérimentale. Cette première étape terminée, le professeur invite ses élèves à échanger librement leurs bonbons de telle sorte que celui qui n'aime pas la réglisse puisse l'échanger contre une sucrerie plus à son goût ou que l'amateur de fraises tagada puisse en récupérer le plus possible. Les étudiants se prêtent au jeu et chacun cherche à adapter sa dotation à son goût personnel. Lorsque tous ont regagné leurs places, le professeur leur demande d'évaluer leurs nouveaux paniers, d'inscrire le résultat sur une feuille puis, comme la première fois, récupère les estimations et les sommes pour mesurer la richesse globale de cette petite économie. Qu'observe-t-il ?

1. La richesse globale a augmenté ! Alors que le nombre et le type de sucrerie sont restés les mêmes tout au long de l'expérience ;

2. La nouvelle évaluation révèle que les étudiants s'estiment maintenant plus riches qu'ils ne l'étaient lorsqu'on leur avait distribué des paniers standardisés ;

3. Mieux encore, personne n'a le sentiment d'avoir perdu au change : tous s'estiment gagnants.

Cette expérience montre que chacun d'entre nous a sa propre individualité, ses expériences, sa culture, ses objectifs, ses goûts, ses passions qui font de nous ce que nous sommes : des êtres uniques. Et c'est cette part d'humanité qui fait qu'un étudiant qui n'aime pas la réglisse sait que d'autres l'aiment et qu'il est dès lors possible d'envisager un mode de coopération pacifique qui permettra d'échanger de la réglisse contre autre chose dans le respect des intérêts des deux parties : on appelle ça un « marché, l'échange, le vivre ensemble, l'interconnaissance ».

Comment est-ce possible ?

Derrière cette expérience anodine se cachent deux des concepts les plus importants et les plus fondamentaux de la science économique : la « subjectivité de la valeur » et le « bénéfice mutuel de l'échange » qui en découle.  

La subjectivité de la valeur n'a rien d'évident au premier abord. Pendant très longtemps, la source de la valeur a divisé philosophes et économistes ; certains comme les classiques anglais (Adam Smith, David Ricardo) puis Karl Marx défendaient l'idée selon laquelle il existe une source objective de la valeur des choses tandis que Démocrite, St Thomas d'Aquin, les scolastiques espagnols et les classiques français (Condillac, Jean-Baptiste Say, Turgot...) pensaient que la source de la valeur résidait dans l'utilité, le bien-être qu'elles nous procuraient - c'est-à-dire qu'elle était subjective. 

Cette notion de valeur, de richesse est un produit de notre esprit, de notre perception individuelle des choses et c'est la rencontre de ces appréciations subjectives qui donne lieu à des échanges, des marchés et des prix. Imaginez qu'un de nos étudiants décide de donner ses sucreries à son voisin. Bien sûr, il poserait un problème au professeur puisque son nouveau panier ne vaudrait désormais plus rien mais la réalité c'est qu'il aurait obtenu, en échange de quelques bonbons, une chose inestimable à ses yeux : une amitié.

Ainsi, lorsque vous achetez des produits issus du commerce équitable, quand vous boycottez une marque, quand vous préférez une voiture qui rejette moins de dioxyde de carbone, quand vous soutenez une association humanitaire : dans chacune de ces situations, vous exprimez vos préférences, vos choix, vos perceptions subjectives de la valeur des choses.